Vandana Shiva, l’écoféminisme contre la pauvreté

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Depuis un demi-siècle, la militante indienne, écoféministe et altermondialiste Vandana Shiva se bat pour aider les paysans des pays du sud à sortir de la pauvreté. Un combat qui passe par la sauvegarde de la biodiversité et l’émancipation des femmes. « J’ai grandi dans la forêt », raconte Vandana Shiva, « la forêt, c’est mon « professeur de nature » et j’ai réalisé que non seulement, elle est belle, mais qu’en plus c’est notre moyen de subsistance ! »Fille de forestier, Vandana Shiva est née en 1952 dans l’Uttarakhand, au nord de l’Inde, et a grandi dans les forêts de l’Himalaya. Son grand-père, engagé pour défendre l’éducation des filles, meurt des suites d’une grève de la faim pour défendre l’école du village.Dans les années 70, la jeune femme suit des études de physique théorique. Alors qu’elle se prépare à partir à l’université de Western Ontario, au Canada, pour son doctorat en philosophie des sciences, elle découvre que « …(sa) forêt favorite, peuplée de chênes centenaires, avait été quasiment rasée par les bûcherons ». Vandana Shiva rejoint alors le mouvement des femmes Chipko, qui lutte contre la déforestation par la non-violence, en protégeant les arbres de leurs corps.En 1982, la jeune docteur Shiva crée la Fondation pour la recherche scientifique, technologique et les ressources naturelles – Research Foundation for Science, Technology and Natural Resource Policy -.Inde, 1984, une année sombreVandana Shiva est alors au Penjab, où la révolution verte et l’intensification de l’agriculture ont été implantées dans les années 60. Elle rencontre des paysans criblés de dettes, sur des terres rendues stériles par l’agriculture intensive. Quand la nuit du 3 décembre, une fuite à l’usine de pesticides de l’entreprise américaine Union Carbide à Bhopal, intoxique et tue des milliers de personnes, elle s’interroge : « J’ai voulu comprendre pourquoi on pratique une agriculture qui tue des milliers de gens. J’ai cherché des solutions et je me suis tournée vers l’élevage non violent et l’agroécologie ». La militante part à Bhopal soutenir les femmes qui se battent pour la justice, puis au Kérala, où les femmes, encore une fois, mènent une lutte – victorieuse -  contre l’usine Coca-Cola qui vide la nappe phréatique au détriment de l’agriculture, pour vendre du soda en bouteilles.Son activisme l’emmène dans toutes les régions de l’Inde où l’agriculture industrielle sévit, et elle raconte que partout, elle constate la même chose : les femmes, responsables de l’alimentation dans les familles, sont les premières touchées par la pauvreté.Les OGM, prison des paysansEn mars 1987, Vandana Shiva accompagne sa sœur à un séminaire sur la génétique et le vivant, en Haute-Savoie, en France, qui réunit des experts de 19 pays. Pour son biographe, Lionel Astruc, c’est le moment le plus important de sa vie : « Elle a compris, en se mêlant aux conversations, qu’on allait faire du marché des graines un marché captif, que les brevets allaient prendre le contrôle sur le vivant et s’approprier les semences, fruits de siècles de sélection paysanne ».L’analyse de Vandana Shiva est implacable : si les entreprises américaines veulent breveter des plantes que les Indiens récoltent et utilisent depuis des siècles - comme le neem ou le riz basmati -, c’est pour pouvoir les modifier via les biotechnologies, puis revendre aux paysans les semences OGM - non reproductibles - et les herbicides associés, comme le glyphosate. C’est la construction d’un cercle vicieux qui va emprisonner les paysans indiens.La militante prend alors son bâton de pèlerin et parcourt les villages indiens pour informer les paysans et commence à conserver des graines. En parallèle, elle s’implique au niveau international pour une législation qui contrôle le brevetage du vivant.Les graines de la libertéVandana Shiva a une idée : pour que les semences restent entre les mains des fermiers, il faut constituer des banques de graines communautaires, des bibliothèques où conserver les semences vivantes.En 1991, elle crée le réseau de banques de graines Navdanya et un centre de formation agricole : « Navdanya signifie les 9 graines ensemble » explique la militante, « ensemble pour la biodiversité mais c’est aussi le nouveau cadeau, celui des biens communs, parce que les brevets et la propriété intellectuelle veulent privatiser les connaissances communes du savoir indigène ».  En 1993, le prix Nobel alternatif – Rights Livelihood Award – est décerné à Vandana Shiva « pour avoir mis les femmes et l’écologie au cœur du développement moderne ».La militante altermondialiste se souvient que lors de la crise du coton de 2009, dans le Maharashtra, « les fermiers étaient devenus dépendant du coton OGM, mais ça ne marchait pas parce qu’il ne résistait pas aux fortes pluies ». En face, les paysans de Navdanya, qui avaient planté des graines de coton bio, résistant aux inondations, « n’ont pas eu le crash du coton que les fermiers OGM ont subi », affirme-t-elle.► À écouter aussi : «la biodiversité est un bien commun»L’écoféminisme, une avancée majeureDans son livre Qui nourrit réellement l’humanité (2015) Vandana Shiva veut démontrer l’affrontement de deux paradigmes alimentaires : d’un côté, les lois de la domination et de l’exploitation, ancrées dans la violence et la guerre, de l’autre, la perspective d’une agroécologie et d’une économie vivante fondées sur la réciprocité.Contre l’agriculture industrielle mondialisée, qui est, pour la militante féministe, une construction pyramidale du pouvoir des hommes, cette économie de la réciprocité pourra se développer grâce au combat écologique mené par les femmes.Pour Lionel Astruc, auteur d’entretiens croisés entre Vandana Shiva et Nicolas Hulot, Le cercle vertueux, la convergence des luttes est au cœur du combat : « En un demi-siècle de militantisme et d’activisme, elle a montré sa capacité de synthèse en réunissant les luttes sociales et écologistes, et son intuition de mettre l’écoféminisme au cœur du combat a été une avancée majeure ».Écologie et non-violenceAlors que le sérieux de son travail est mis en doute par les promoteurs des OGM, qu’elle est régulièrement menacée en retour de ses prises de positions radicales, Vandana Shiva assume une lutte inspirée des principes de « non-violence » et de « vérité » hérités de Gandhi, qui se traduisent par la désobéissance civile, la formation et la communication.Autrice, en 2019, de l’essai 1% Reprendre le pouvoir face à la toute-puissance des riches, la militante écoféministe, qui analyse la crise sanitaire du Covid comme la conséquence de l’économie mondialisée et de la destruction de l’environnement, plaide pour la décroissance et la restauration de l’harmonie avec la nature, dans une éthique du care - prendre soin de la société, de l’humain et de l’environnement –.Et quand on lui demande de résumer un demi-siècle d’activisme, Vandana Shiva répond : « je sauvegarde les graines et la biodiversité, je fais des recherche en agriculture, je travaille avec les fermiers pour qu’ils ne contractent pas de dettes, qu’ils protègent les sols et la biodiversité, pour que chacun ait de quoi manger… et quand c’est nécessaire, je surveille ce que font Monsanto et Bill Gates parce qu’ils œuvrent dans le mensonge et la violence ».En savoir plus :1% Reprendre le pouvoir face à la toute-puissance des riches, Vandana Shiva, 2019, éditions Rue de l'EchiquierQui nourrit réellement l’humanité ?, Vandana Shiva, 2015, éditions Actes Sud, 2020Le cercle vertueux, Nicolas Hulot, Vandana Shiva, entretiens avec Lionel Astruc, éditions Actes Sud, 2018Ecoféminisme, Vandana Shiva, Maria Mies, 1999, éditions de l’HarmattanÉthique et agro-industrie, Main basse sur la vie, Vandana Shiva, éditions de l’Harmattan, 1996Le réseau Navdanya : http://www.navdanya.org/site/ The right livelihood prize : https://rightlivelihood.org/what-we-do/the-right-livelihood-award/ https://rightlivelihood.org/the-change-makers/find-a-laureate/vandana-shiva/  

Vandana Shiva, l’écoféminisme contre la pauvreté

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